
En quelques jours, le coronavirus a bouleversé les habitudes à travers le monde. Son impact sanitaire est catastrophique. Son impact économique sera difficile à assumer. Paradoxalement, le Covid-19 met en lumière de nouvelles façons de voir et d’analyser le monde : le travail, la technologie, l’environnement… En voici 12.
1/ Télétravail & éducation dans un même espace, c’est possible !
« En travaillant à la maison, l’individu (homme comme femme ; parent ou non mais surtout parent) doit apprendre à redéfinir son temps en fonction de lui-même, de son activité et de l’âge des enfants, et non en fonction du temps de l’entreprise. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise pratique. Chaque individu a son propre mode de vie : jongler avec tout en même temps ou compartimenter son temps. Au final, tout ceci n’est pas très grave et ne peut conduire qu’à une meilleure connaissance de soi et au découpage de son temps de vie. Tout l’enjeu pour les entreprises est de redéfinir le rapport de confiance envers les collaborateurs lorsqu’ils ne sont vus que par les mails ou les visioconférences. »
Séverine Le Loarne, experte en entrepreneuriat féminin à Grenoble Ecole de Management
2/ Trouver l’équilibre entre le contrôle du manager et la liberté totale du salarié… et le garder au retour dans les bureaux
« Le management du télétravail se fait en aveugle car un télétravailleur fait globalement comme il veut chez lui. Il y a alors deux manières de réduire cet aveuglement : le contrôle ou la confiance. Le contrôle consisterait, par exemple, à mettre en place des alarmes se déclenchant lorsque le clavier du télétravailleur resterait inactif au-delà de 10 minutes. Elles donneraient lieu à un rappel à l’ordre, alors que le collaborateur réfléchissait en mode papier/crayon à la solution d’un problème. La confiance consisterait à donner un cadre de liberté au télétravail. Une fois les enjeux du télétravail fixé, le cadre préciserait les indicateurs d’alignement sur ses enjeux, le mapping des parties prenantes utiles à sa performance, les rituels de pilotage (feedback, réunion d’analyse de l’activité, réunion de cohésion) et les temporalités (délais, échéances). A l’intérieur de ce cadre il serait libre et mobilisé car si le contrôle est pénible, la confiance vaut la peine… de s’engager. Pourquoi ne pas conserver cette culture de la liberté au travail quand nous y retournerons ? »
Karim Benameur, expert en RH à Grenoble Ecole de Management
3/ De nouvelles façons d’être ensemble, à distance
« L’interaction sociale est un besoin fondamental de l’être humain. Il est mis à mal aujourd’hui par le confinement. Cependant, plutôt que de se laisser aller à une montée de l’individualisme, les gens ont développé de nouvelles façons d’échanger, que ce soit d’une façon virtuelle (ex. apéros virtuels entre amis), ou réelle (ex. manifestations de solidarité au personnel soignant à 20h sur les balcons et fenêtres dans les villes). Le sentiment d’être en contact avec d’autres ou d’être ensemble à l’unisson, permet ainsi d’éviter le repli sur soi et de lutter naturellement contre le stress lié à la distanciation sociale ».
Caroline Cuny, experte en cognition à Grenoble Ecole de Management
4/ Une nouvelle tendance émergente : la microaventure
« Si le « Chez soi » nous semblait jusque-là parfois ennuyeux, nous cherchons désormais à l’apprivoiser pour en faire une « Odyssée domestique » chère à Mona Chollet. Nous partons à la découverte de cet espace dont pensions déjà connaitre chaque recoin. Sur les réseaux sociaux apparaissent ainsi des pratiques, voire des défis, remettant en jeu ces rares mètres carrés et leur donner une saveur nouvelle. C’est bien là tout le principe de la microaventure, ce révélé par Alastair Humphreys. Pour cet aventurier, auteur et conférencier anglais, il s’agit d’une aventure « courte, proche de chez soi et qui s’insère dans le quotidien ». Elle renvoie à la tendance touristique de staycation ou le fait de passer les vacances sur son lieu de vie. De quelles façons ce confinement impactera-t-il ensuite nos modes de vie et de loisirs ? Quelles activités émergeront ? Comment les acteurs touristiques seront-ils amenés à se renouveler ? »
Helene Michel, experte en innovation et serious game à Grenoble Ecole de Management
5/ Apprendre à décrypter les fake news lors d’une crise sanitaire
« Une fake new présente un certain nombre de caractéristiques, les principaux éléments qui doivent éveiller vos soupçons, sont l’accroche, la crédibilité de l’émetteur et l’adéquation images texte. La vérification des faits (fact-checking) est aujourd’hui accessible au particulier, par exemple avec « le decodex » créé par le journal Le Monde »
Yannick Chatelain, expert du digital à Grenoble Ecole de Management.
6/ Le réseau internet ne sautera pas ! Mais une hygiène numérique devient nécessaire.
« Le réseau internet saturera certes, et plutôt des infrastructures dédiées, internes aux organisations. Mais il est improbable qu’il saute dans son ensemble. Saluons par exemple la mise en place ce matin (20/03/20) d’une définition standard pour Youtube. Ainsi, il faut que chaque entreprise proposant un service en ligne effectue ce genre de paramétrage. C’est aussi à chaque citoyen qui sait le faire, d’effectuer, aujourd’hui comme demain, un usage raisonné de sa connexion : pas de streaming HD, du jeu hors ligne quand c’est possible, des échanges audio plutôt que vidéo, etc. Outre l’adoption des gestes barrières, ceux qui ont la chance de pouvoir travailler à distance devraient adopter une bonne hygiène numérique, c’est d’autant plus important maintenant. »
Pierre Dal Zotto, co-titulaire de la chaire Digital, Organisation and Society (DOS) de Grenoble Ecole de Management
7/ Formation massive à l’enseignements 100% en ligne
« Nous avons mis sur pied une formation massive et accélérée des enseignants, aux fondamentaux de l’enseignement à distance, associée à un accompagnement à la carte par nos ingénieurs pédagogiques. L’atmosphère générale – au sein de GEM et entre établissements de l’enseignement supérieur – est à l’effervescence collaborative inter-organisations avec échanges de bonnes pratiques, de trucs et astuces, mise à disposition gratuite de tutoriels, de formations de formateurs, de plateformes pédagogiques, de ressources numériques, etc. Cette expérimentation grandeur nature dans l’urgence servira après la crise. Nous pourrons proposer plus de parcours à distance mais aussi améliorer le parcours étudiant en présentiel. »
Armelle Godener, Directrice de la Pédagogie à Grenoble Ecole de Management
8/ Une chute visible de la pollution
« Pour la première fois depuis trois décennies - et sans affronter une pandémie comme celle que nous vivons en ce moment - le monde a connu en 2019 une baisse record de CO2 pour produire son électricité (-2%). Le coronavirus va-t-il renforcer cette tendance à la baisse en 2020 ? Certainement…Depuis le début de l’année, la crise sanitaire du coronavirus a obligé les entreprises du monde entier -et en premier lieu celles de Chine- à fonctionner au ralenti, entrainant une baisse significative des émissions de CO2, ainsi qu’une chute spectaculaire de la pollution visible depuis l’espace ! Une fois la crise passée, il est vrai que nous ne serons peut-être pas à l’abri d’un effet rebond qui annulerait cette bonne nouvelle pour la planète. Mais il y a bon espoir que cette pandémie nous permette de tirer des enseignements sur nos modes de production et de consommation, et confirme ce renversement de tendance, même timide. »
Carine Sebi, titulaire de la chaire Energy for Society de Grenoble Ecole de Management
9/ Une délocalisation des entreprises dans des pays plus proches des bassins de consommation
« L’épidémie va accélérer un changement déjà amorcé dans l'organisation de l'économie. Depuis plusieurs années, certaines multinationales tentent de réduire la dépendance entre leurs chaînes de productions et l’économie de l'Asie et de la Chine. Le but : reprendre le contrôle au sein des secteurs les plus stratégiques. Le Covid-19 provoquera probablement une accélération du phénomène de « nearshoring » (retour progressif d'une partie des capacités d'assemblage final dans les zones plus proches des grands bassins de consommation). »
Jovana Stanisljevic, experte en économie à Grenoble Ecole de Management
10/ Refonder la confiance dans nos systèmes de santé
« La confiance individuelle et collective constituent la condition nécessaire de tout système de santé efficace. Or, faire confiance demande d'accepter qu'on ne peut pas tout maîtriser et qu'on reste, au fond, vulnérable. Par rapport au sentiment d'érosion de confiance généralisé qui marque nos sociétés depuis quelques années, je suis convaincu que l'actuelle crise nous permettra d'établir de nouvelles formes de confiance fondées sur la compétence, l'intégrité et la bienveillance entre le public et l'ensemble des acteurs de santé. »
Charles-Clemens Rüling, Directeur de la Recherche et coordinateur de la Chaire "Public Trust in Health" à Grenoble Ecole de Management
11/ Un pas vers la paix économique ?
« ET SI…. l’obligation au confinement nous remettait au contact de relations perdues… En relation…
- à notre corps qui, forcé d’être au repos prend le temps de se détendre,
- avec l’intime en nous-mêmes, parce que l’incongru nous oblige à nous penser autrement,
- avec nos fragilités, notre vulnérabilité car c’est là notre commune humanité,
- avec la lenteur, les urgences n’ayant plus cours,
- avec l’infime, car la lenteur le favorise et que le beau réapparait,
- avec les autres, par ce qu’ils sont loin, qu’on les souhaite en bonne santé, qu’on les aimerait près de soi, et que c’est le moment de leur dire qu’on les aime,
- avec la nature quand enfin nous retrouvons l’envie et le bonheur de simplement « prendre l’air »,
- avec le travail, car nous sommes obligés de faire autrement et que les croyances sur « ce qu’il faut faire » sont balayées d’un revers de virus,
- avec le profit, car aujourd’hui ne comptent plus que la continuité, le soutien et le soin aux autres,
- avec l’amour, sous toutes ses formes, parce que nous en avons besoin
Et si cette situation nous obligeait à repenser ce qu’est la vie, ce qu’est être humain, ce qu’est faire société, ce qu’est faire entreprise ? Quand je découvre tous les élans et les relations qui se font jour, je suis joyeux. »
Dominique Steiler – Titulaire de la Chaire Paix économique, Mindfulness et Bien-être au travail
12/ stratégie d'entreprise : Au-delà des leçons, déjà 3 enseignements
« Le premier, nous devons, demain, au sein de nos organisations, être les promoteurs d’une écologie humaine. Si l’on ne comprend pas que nous ne pouvons plus vivre avec pour seule visée ses intérêts propres et immédiats, si l’on ne comprend pas qu’être passif en regard de l’intérêt général, c’est être actif dans la destruction de la société, c’est qu’on n’a rien compris ! Nous devons rendre le monde capable de parler. Mieux, nous devons être capables de l’entendre.
Le deuxième : il conviendra, ce que dit Gaspard Koenig, de redéfinir les modèles économiques pour y intégrer la résilience.
Le troisième : il faudra inventer des modèles d’organisation radicalement nouveaux ; et ne plus être guidés que par un seul impératif, tout mettre en œuvre pour que plus rien de grave n’arrive. »
Loïck Roche, DG de Grenoble Ecole de Management et expert en stratégie des organisations.