You are here

Covid-19 : les experts de GEM décryptent l’impact de l’épidémie #3

Covid-19 : les experts de GEM décryptent l’impact de l’épidémie
Published on
06 April 2020

Grenoble Ecole de Management propose un 3ème numéro de ses points de vue d’experts sur les évolutions du monde engendrées par l’épidémie du Covid-19 dans différents domaines : prêt de main d'oeuvre, salaire universel, modèles culturels, plan de relance, sauvetage des banques et industrie du luxe.

1/ L'effort économique actuel jette les bases pour tester l'impact d'un revenu universel

« Face à un changement social et économique sans précédent, les réponses des pays face à la crise du Covid-19 se sont généralisées. Parmi ces réponses figurent des plans pour continuer à verser un salaire aux travailleurs et aux entrepreneurs bloqués à la maison et incapables de travailler. Ces réponses ont pour but de protéger les citoyens contre la pauvreté et d'assurer la cohésion sociale. Elles comportent de nombreuses caractéristiques semblables à celles d'un revenu de base universel. Dans une recherche publiée juste avant la crise en collaboration avec Geneviève Shanahan et Priya Srinivasan, nous avions mis en exergue une augmentation des dispositifs similaires au revenu de base universel. Cela démontre une certaine faisabilité d'un revenu de base mais la vraie impulsion politique manquait encore. La crise COVID-19 pourrait fournir l'impulsion nécessaire pour tester réellement l'impact et les conséquences d'un futur revenu universel. »
Mark Smith, expert en RH à Grenoble Ecole de Management

2/ Une crise sanitaire pour revisiter les modèles culturels et de gouvernance des pays et zones du monde ?

« La manière dont est appréhendée, vécue, gérée la crise sanitaire planétaire liée au Covid-19 permet de porter un regard renouvelé sur les dimensions sociales, culturelles et de gouvernance de nos sociétés. Une des premières dimensions qui a sauté aux yeux a été la différence en termes de « gestion de crise » entre les régimes autocratiques et les régimes démocratiques. La Chine a montré comment l'autorité du Parti unique a guidé d'une main de fer tous les temps de la crise sanitaire– déni de situation, répression pour ceux qui osaient s'exprimer, puis organisation quasi-militaire du confinement et enfin utilisation de la crise comme instrument de propagande planétaire. Du côté des pays à nos yeux démocratiques, une gestion à la fois hésitante et généreuse, critiquée et critiquable de la crise, et parfois des difficultés à faire respecter un confinement interprété par chaque citoyen à l'aune de sa propre conception de sa liberté. Autre dimension, les cultures nationales les plus collectivistes ont montré leur capacité à sceller un destin commun mais au final assez différemment orienté : la réaction collective Sud-Coréenne de prévention du port massif du masque de protection, de dépistage systématique du virus puis de « pistage » des citoyens via des applications mobiles est au final une manifestation collectiviste très différente de ce qui se passe en Chine. Des modèles culturels puissants pour des gestions de crise très différenciées… »
Pierre-Yves Sanséau, expert en RH à Grenoble Ecole de Management

3/ Comment le Covid-19 pousse-t-il la France à réfléchir autrement pour sa survie ?

« Le 31 mars était annoncé la grande mobilisation du prêt de main d'œuvre entre organisations. En effet, des employés de différentes entreprises, dont PSA, sont désormais envoyés en formation auprès de l'entreprise experte - Air Liquide, dans la construction de respirateurs artificiels, pour pouvoir le faire ensuite dans leur propre entreprise. Et à l'inverse, quelques organisations vont prêter certains de leurs collaborateurs à Air Liquide pour les aider à créer de nouveaux respirateurs artificiels, sur la base du volontariat. L'idée du prêt de main d'œuvre peu utilisé jusqu'à lors en France, repose initialement sur une réduction de la masse salariale de certaines entreprises se trouvant en difficulté financière, et ainsi de mettre à disposition certains de leurs collaborateurs. Mais cela permet aussi de développer les compétences des collaborateurs, qui découvrent de nouvelles façons de travailler et développent leurs compétences en nouveau contexte. Dans ce contexte si particulier, il est à souligner ce bel élan de solidarité de tous ces travailleurs qui redoublent d'efforts pour pallier le manque de respirateurs artificiels, et se remettent au travail… pas forcément sur leurs métiers ou domaines de compétences habituels. Un bel exemple et un nouveau visage pour le prêt de main d'œuvre… Bravo à tous ces français ! »
Ludivine Calamel, experte en RH et management de l'innovation à Grenoble Ecole de Management

4/ Résilience ou transition ?

« Une fois la gestion de l'urgence sanitaire passée, va rapidement se poser la question du redémarrage du système économique mis en mode pause par le coronavirus. A n'en pas douter, cela nécessitera un plan de relance ambitieux, peut-être le plus ambitieux jamais mené depuis la grande crise de 1929. Des centaines voire des milliers de milliards d'euros pourraient être injectés dans l'économie européenne alors que l'UE vient d'assouplir ses règles de contrainte budgétaire. Quels objectifs doit se fixer ce futur plan : la résilience, c'est-à-dire peu ou prou un retour à la situation d'avant crise ou bien une transition accélérée vers un modèle de société durable et inclusive ? Si c'est le second choix qui est fait, le plan de relance devra être sélectif et favoriser la transition des producteurs de services et biens essentiels : - Alimentation : soutenir l'élimination des produits phytosanitaires prouvés dangereux et accélérer la conversion à l'agriculture biologique - Mobilité : construire un réseau de recharge des véhicules électriques sur l'ensemble du territoire, produire massivement du Bio-GNV à partir des stations d'épuration et des centres de compostage, et construire des lignes de train - Logement : renforcer le plan de rénovation thermique des bâtiments existants - Education : revaloriser les métiers d'enseignants, investir dans toutes les zones d'éducation prioritaires - Santé : fournir une offre de soins de qualité pour tous, permettre le maintien à domicile des personnes fragiles »
Thibault Daudigeos, titulaire de la Chaire Territoires en Transition de Grenoble Ecole de Management

5/ Entre versements de dividendes et faillites, pourquoi, il faudra sauver les banques… encore !

En 2008, le grand public découvrait les différents abus bancaires : financiarisation à l'extrême, spéculation, fraudes fiscales etc. Rien n'a vraiment changé depuis. Aujourd'hui encore, les autorités monétaires doivent hausser le ton afin que les institutions bancaires reportent leurs versements de dividendes ! Pourtant, nous ne pouvons pas laisser les banques s'enfoncer dans les difficultés. Si des banques deviennent incapables de fournir des liquidités à leurs clients, d'accorder des crédits, voire si elles font faillite, l'économie court un risque majeur ! Une crise bancaire pourrait provoquer une crise de liquidités, paralysant les transactions économiques, et même une course au guichet. Dans ce cas-là, si les comptes bancaires sont garantis en France à hauteur de 100 000 euros, moins de 1% des comptes pourraient effectivement être dédommagés… D'ailleurs, les banques centrales s'attachent à maintenir les banques à flots grâce à plusieurs dispositions d'urgence en desserrant les contraintes en assouplissant les contraintes réglementaires et en ouvrant le rachat d'actifs. Ainsi, une fois encore, malgré tout, il faudra soutenir les banques. Nous l'avons fait en 2008, cela n'a pas changé les pratiques bancaires… Cette fois-ci, l'occasion nous ait donné de repenser le soutien aux banques et ce modèle de privatisation de leurs profits et d'une mutualisation de leurs risques. »
Virginie Monvoisin, experte en économie monétaire à Grenoble Ecole de Management

6/ Comment le Covid-19 va transformer en profondeur l'industrie de la mode et du luxe ?

« Selon une étude du Boston Consulting Group, les ventes mode et luxe pourraient chuter de 25 à 35% en 2020 par rapport à 2019. Pourtant, les maisons de luxe se mobilisent. Chanel et Hermès ont annoncé le maintien des salaires de leur personnel sans recourir aux aides de l'Etat en France. Hermès versera 20 millions d'euros pour l'AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris) et a fourni gracieusement solutions hydro-alcooliques et masques. LVMH a lancé la production et distribution gratuites de gel hydro-alcoolique et sécurisé l'approvisionnement de masques depuis la Chine. Le Groupe en assurera le premier paiement de 5 millions d'euros. Kering et Moncler ont également emboîté le pas. L'industrie de la mode va devoir soutenir ses salariés, fournisseurs et sous-traitants dans les mois à venir. Peut-être va-t-elle être obligée de réduire le rythme effréné de lancements de nouvelles collections et ses budgets communication et relations publiques. L'annulation des prochaines fashion weeks de Paris et Milan en sont d'ailleurs les premiers signes tangibles. »
Isabelle Chaboud, experte en analyse financière & industrie du luxe à Grenoble Ecole de Management

On the same subject