
La plupart des recherches ayant trait au comportement des consommateurs se fondent sur un postulat : la raison principale pour laquelle les gens achètent des produits repose sur le bénéfice qu’ils en attendent en les consommant. Les limites de cette hypothèse ont été testées par une étude récente. Son ambition ? Explorer les jugements des individus sur l’efficacité perçue du produit – à la fois pour eux-mêmes et pour les autres ; ce que l’on nomme « le biais de l’autre ».
Entretien avec Ignazio Ziano, professeur adjoint de marketing à l'École de Management de Grenoble et coauteur de l'article « Consumers Believe That Products Work Better for Others » qui est actuellement sous presse au Journal of Consumer Research.
La recherche, conduite par Ignazio Ziano, porte sur la croyance selon laquelle les consommateurs estiment que les produits fonctionnent mieux pour les autres que pour eux-mêmes, et sur la perception des autres en tant que consommateurs. Il explique que : « l'intégration de l'efficacité perçue des produits dans cette recherche est très intéressante parce qu'elle est un facteur important de compréhension du comportement des consommateurs pour un large éventail d'achats : depuis une bouteille d'eau, qui permet d'étancher la soif, au vaporisateur de moustiques pour se protéger des piqûres ou même des produits pharmaceutiques comme les analgésiques pour soulager la douleur. »
La recherche [...] porte sur la croyance selon laquelle les consommateurs estiment que les produits fonctionnent mieux pour les autres que pour eux-mêmes
Des résultats solides, qui permettent de bien comprendre le phénomène
Quinze études impliquant 6 547 participants ont démontré que les consommateurs croient que le même produit fonctionne mieux pour les autres que pour eux-mêmes. Il a été établi que les données probantes appuyaient deux hypothèses pour expliquer ce biais d'auto-discrimination. Premièrement, les consommateurs ont tendance à se considérer comme uniques et, en outre, encore plus uniques que les autres. Les produits, qui sont conçus pour un grand nombre de consommateurs, ne correspondront donc pas parfaitement à leurs attributs particuliers et ne fonctionneront donc pas aussi bien pour eux-mêmes que pour les autres. Les consommateurs ont également tendance à se considérer comme moins malléables que les autres ; c'est-à-dire moins sensibles à la manipulation ou à la publicité et plus stables dans leur personnalité, leurs préférences et leurs valeurs.
Le phénomène selon lequel les consommateurs croient que les produits fonctionnent mieux pour les autres s'est avéré remarquablement constant, pour un large éventail de produits (des hydratants aux livres à colorier, en passant par les boissons énergisantes, les lampes de relaxation et les applications d'apprentissage du langage). Et, peu importe que « les autres » désignent un ami, un collègue ou une célébrité et qu'ils soient utilisateurs ou non du produit. « Nous avions de bonnes raisons de nous attendre aux résultats observés, explique Ignazio Ziano, mais nous avons été surpris par la solidité de l'effet. »
Les conséquences du choix des consommateurs en aval
Ces résultats suggèrent que les consommateurs pourraient être plus susceptibles d'acheter un produit pour d'autres individus que pour eux-mêmes (en raison de la croyance que le produit fonctionnera mieux pour les autres que pour eux-mêmes), et de choisir une moindre quantité de produit pour d'autres (si l'efficacité du produit est plus élevée, moins de produit est nécessaire). Cette dernière constatation a été démontrée par une étude en laboratoire effectuée au GEM. « Les autres études ont été réalisées en ligne et ont permis de comprendre le phénomène, explique Ignazio Ziano. L'étude en laboratoire a été particulièrement intéressante parce qu'elle portait sur le comportement des gens à la suite du phénomène. »
L'étude a impliqué 218 étudiants du GEM, qui ont chacun été présentés avec un certain nombre de petites tasses d'eau et à qui on a demandé combien de tasses seraient nécessaires pour satisfaire complètement leur propre soif et celle d'un « participant type ». On leur a ensuite demandé de distribuer le nombre pertinent de tasses d'eau dans un bol étiqueté « Moi-même » ou « Participant type ». « Nous avons également demandé aux participants de juger de l'efficacité d'une de ces tasses d'eau pour satisfaire leur propre soif et celle d'un participant type », note Ignazio Ziano. En accord avec les résultats précédents, la même quantité d'eau était perçue comme étant plus efficace pour les autres que pour eux-mêmes. « Si les gens pensent que les produits sont plus efficaces pour les autres, moins d'unités du produit sont nécessaires pour satisfaire les besoins de l'autre, et c'est exactement ce que nous avons vu : moins d'eau a été versée dans le bol « participant type » que dans le bol « soi-même. »
Les implications sociétales
Les implications sociétales potentielles de ces travaux sont particulièrement importantes dans les domaines de la santé et de la médecine. « Si un consommateur perçoit qu'un médicament fonctionne mieux pour les autres que pour lui-même, il peut alors penser qu'il a personnellement besoin de plus du même produit pour obtenir les mêmes avantages, relève Ignazio Ziano. Cela pourrait entraîner une surconsommation de médicaments et des problèmes de dépendance, en particulier dans un pays comme les États-Unis où il est possible d'acheter des médicaments puissants sans ordonnance. D'autre part, si un médecin estime que le même médicament est plus efficace pour les autres que pour lui-même, il pourrait prescrire aux patients une dose plus faible, ce qui est en fait insuffisant pour résoudre le problème médical. »